Ses compositions symphoniques (qu’il a signé de son premier prénom Edward) furent jouées aussi bien en France que dans d’autres pays et fréquemment diffusées sur les ondes de Radio France jusque vers la fin des années soixante, recevant toujours l’accueil le plus chaleureux du public. Il remporta plusieurs prix importants dont un pour son « Nocturne » pour flûte et orchestre, décerné aux États-Unis par un jury dans lequel figuraient Igor Stravinsky, Aaron Copland et d’autres compositeurs célèbres.
A la suite de puissantes expériences mystiques, il composa une Messe pour choeurs et orchestre qui sera exécutée à plusieurs reprises et très remarquée du monde musical.
Avant d’aborder le rôle que la grande musique peut jouer dans la vie, il s’avère nécessaire de parler au préalable d’un phénomène troublant qui s’est emparé de l’homme contemporain, à savoir que c’est devenu pour lui une obsession de chercher à emmagasiner un maximum de savoir intellectuel sur la création et la vie, avec pour conséquence qu’il ne vit plus que dans sa tête, complètement coupé de son sentiment. Or, cette manière d’être se révèle être un grave obstacle en matière de spiritualité où le sentiment et l’intuition jouent un rôle prépondérant.
Une tendance rencontrée chez les Occidentaux (et même chez les Indiens actuellement) consiste à croire que, puisqu’ils connaissent quelque chose avec leur intellect, ils l’ont forcément compris. Ils ne réalisent apparemment pas que connaître quelque chose par l’intellect et comprendre ce que l’on connaît intellectuellement sont deux choses aussi loin l’une de l’autre que le jour et la nuit. Réellement comprendre ce que l’on connaît constitue une force et un acquis que l’on ne pourra plus jamais perdre.
Un aspirant sincère peut trouver dans la grande musique une aide insoupçonnée pour arriver à sentir l’importance du sentiment dans une démarche spirituelle.
Mais, pour que celui qui l’écoute puisse comprendre le message que la musique d’un grand compositeur cherche à lui transmettre, il faut qu’il ait déjà quelque chose de cette mystérieuse vérité en lui. Et il en va de même pour tout enseignement spirituel authentique. Un aspirant ne peut être touché par un enseignement spirituel sérieux s’il ne possède pas déjà au moins un certain niveau de conscience, d’être et d’intelligence grâce auquel seulement il lui sera possible d’en pressentir l’importance capitale pour lui.
En ce qui concerne la musique (qui peut parfois exercer une influence si puissante sur l’être de l’homme qu’il ne peut qu’en demeurer troublé), elle est reçue directement dans le sentiment de celui qui l’écoute. La bouche et l’oeil restent pour ainsi dire clos et, comme il en est pour la peinture, les mots perdent toute signification devant cette mystérieuse vérité universelle qui, en fonction de leur degré de réceptivité, peut être captée et appréhendée par tous les peuples de la Terre, quelle que soit leur langue, leur culture ou leur religion.
L’extase mystérieuse que la musique de certains grands compositeurs suscite chez l’interprète ne peut que toucher les auditeurs également — pour autant que leur niveau d’être soit suffisamment élevé pour les rendre réceptifs à ce qu’une telle oeuvre musicale tente de leur transmettre à ces moments exaltés.
Il est important pour l’aspirant de noter que c’est précisément le sentiment qui donne à un grand pianiste la capacité d’exécuter de mémoire des oeuvres éminemment complexes comportant des milliers de notes ainsi que d’innombrables changements d’harmonies, de lignes mélodiques et de rythmes, sans commettre d’erreurs. Le même principe s’applique au chercheur ; il lui faut réaliser que c’est son sentiment qui peut relier son esprit et son corps de manière à lui permettre d’effectuer ses pratiques de méditation et ses autres exercices spirituels avec l’intensité requise pour être mis en rapport avec un autre monde en lui, un monde lumineux qu’il ne pourra, s’il est assez sensible, que reconnaître comme sanctifié.
On ne peut que demeurer émerveillé devant l’extraordinaire prouesse qu’un pianiste hors du commun arrive à exécuter, non seulement avec sa mémoire, mais aussi avec ses mains, quand son sentiment, son esprit et son corps travaillent à l’unisson.
Il faut que l’aspirant se souvienne toujours que c’est le sentiment, quand il est élevé, qui possède la capacité d’unir l’esprit et le corps. Lorsque cette union se produit à un haut degré et pendant un temps suffisamment long, l’être humain peut accomplir de véritables prodiges.
Les genres de spectacles, de distractions ou de musiques vers lesquels la masse des êtres humains est généralement attirée sont, malheureusement, d’un caractère tellement banal et abaissant — ou même nuisible — qu’ils ne font que contribuer à les éloigner toujours plus de la possibilité d’atteindre en eux des états d’être supérieurs.
Vu l’importance du rôle que joue la musique dans la vie, il faut à nouveau souligner que celle-ci est une véritable magie, capable d’abaisser et d’avilir celui qui l’écoute, ou de l’exalter et de l’élever vers les régions lumineuses de son être. Un aspirant avisé doit donc se montrer très attentif à ce qu’il risque de croire inoffensif, mais qui peut sérieusement l’appesantir et retarder ses progrès spirituels.
Les lois de l’harmonie ne sont pas basées sur des règles arbitraires, mais sur une étude, effectuée au long des siècles, des longueurs d’ondes des différentes notes et de leurs harmoniques qui sont inaudibles d’ordinaire. C’est pourquoi, lorsque la musique est construite en combinant les notes d’une façon erronée grammaticalement, elle est en train, sans que l’auditeur ne le réalise, de détruire son être alors qu’il continue de l’écouter.
Canalisée, l’attention peut devenir un puissant instrument. Elle peut, soit nuire au monde lorsqu’elle est employée par quelqu’un dénué de scrupules, soit élever les êtres humains à la hauteur des dieux quand elle est utilisée par un grand artiste ou par un saint.
De surcroît, cette musique, qu’un génie a créée grâce à son attention, va faire travailler par la suite, année après année, et même pendant des siècles, l’attention de tous les membres des orchestres symphoniques, sans que ceux-ci soient nécessairement conscients de ce qui se produit en eux. Ainsi, on peut dire que, grâce à son attention et à sa grande capacité de concentration, un compositeur tel que Beethoven est devenu, malgré lui, une sorte de « maître spirituel » pour tous les exécutants d’un orchestre, et même, dans une certaine mesure, pour les auditeurs aussi !
On peut ainsi voir que, dans toute grande réalisation artistique, c’est toujours l’attention qui joue le rôle prédominant. Grâce à elle, l’effet positif de ces oeuvres ne cesse de se répandre dans le monde, des années après la mort du compositeur, devenant ainsi pour d’autres hommes et femmes engagés dans une voie artistique ou spirituelle une inspiration et une incitation à maîtriser leur attention.
L’espace incommensurable du Cosmos n’est composé que de ténèbres éternelles parsemées ci et là de petits points lumineux provenant des différentes galaxies et étoiles qui l’habitent, séparées par des distances inconcevablement vastes. Le génie musical ou le grand mystique peut, dans une certaine mesure, être comparé à l’un de ces petits points de lumière dans l’Univers, qui cherche à briller à travers les ténèbres dans lesquelles l’humanité est plongée. Il est comme un phare solitaire dans un immense océan d’hommes et de femmes de toutes races qui, tout comme les vagues de la mer, ne cessent de naître et de mourir, sans comprendre le sens véritable de leur existence sur ce globe.
Toute expression mystique ou artistique authentique appartient à un Univers qui se situe au delà du monde spatio-temporel, car ce dernier se trouve, en fait, tout en bas de l’échelle de la Création. Par rapport à une autre forme de conscience possible à l’homme, à laquelle un prix élevé est attaché, son état d’esprit ordinaire se révèle n’être que ténèbres.
Sans que l’auditeur n’en soit conscient, une grande oeuvre symphonique (telle “Ainsi parlait Zarathoustra” ou la “Symphonie alpestre” de Richard Strauss) ne cesse de susciter en lui un subtil silence intérieur (le silence que le compositeur a lui-même connu lors de sa création) ainsi que le sentiment d’une spontanéité continue qui se renouvelle sans cesse tout le temps qu’il écoute cette musique. Et, chaque fois qu’il la ré-écoute, elle continue à lui donner mystérieusement l’impression d’être toujours neuve et spontanée.
En regardant cet étonnant portrait de Beethoven, il est impossible de ne pas être frappé par les yeux de ce grand génie. Celui qui sait vraiment voir et comprendre ne peut absolument pas manquer de sentir à quel point l’étrange regard de cet homme hors du commun vient des profondeurs de son être et combien il était, sans qu’il l’ait nécessairement réalisé, relié à une autre dimension, au delà du monde visible, d’où il recevait ses extraordinaires inspirations.
De plus, on ressent, par la façon dont il se tient debout, adossé au piano, qu’il est ce qu’on peut qualifier de « rassemblé » en lui-même, ou encore qu’il est un être entier, ou mieux, un être extrême ! Son menton exprime la détermination farouche qui l’a accompagné durant toute son existence, lui permettant ainsi de ne pas être écrasé par le terrible drame de sa surdité et de continuer, en dépit de cette malédiction, à lutter pour accomplir son destin.
Toutefois, après tout ce qui vient d’être dit sur l’aide que la grande musique peut apporter pour nourrir le sentiment et l’intuition de celui qui l’écoute, il faut néanmoins spécifier qu’elle ne peut en aucune façon épargner à un aspirant les efforts qu’il devra nécessairement fournir s’il souhaite réellement connaître, par une expérience directe, son Etre Primordial.
Article paru dans le n° 54 de la revue le 3ème Millénaire
Deux interprètes prestigieux :